Reportage – En 2025, tous les foyers français recevront dans leur boîte aux lettres un manuel de survie. Ce guide de 80 pages, conçu par les pouvoirs publics, ambitionne d’apprendre à chacun les bons gestes à adopter en cas de crise majeure : inondation, cyberattaque, blackout ou conflit armé. Inspirée du modèle suédois, cette initiative suscite un vif débat dans les médias, dans les rangs politiques, mais aussi parmi les professionnels de la gestion de crise.
Pour analyser la portée réelle de ce dispositif, nous avons interrogé Laurent Vibert, expert en communication de crise, fondateur et dirigeant de l’agence spécialisée Nitidis, qui accompagne de nombreuses institutions publiques et entreprises dans la préparation et la gestion des crises, tant opérationnelles que communicationnelles.
Une initiative utile ?
« Ce type d’outil peut être utile… à condition d’être bien pensé, bien introduit et bien accompagné. Le fond est louable, mais la forme peut tout faire basculer …», affirme d’emblée l’expert Laurent Vibert.
Le gouvernement justifie ce manuel par un objectif simple : renforcer la résilience de la population. Le guide contiendra des conseils pratiques (préparer un kit de survie ou un kit d’urgence, conserver de l’eau potable, sécuriser ses données) et incitera à la solidarité entre voisins. Il comportera également des recommandations sur les conduites à adopter en cas de rupture des services essentiels (eau, électricité, réseaux) ou d’événements climatiques extrêmes.
« Dans une société habituée à l’immédiateté, ce rappel aux fondamentaux est nécessaire. Il y a un vrai besoin de pédagogie de la résilience », poursuit l’expert.
Le bon message… au bon moment ?
Le timing de la distribution soulève toutefois des questions. Alors que l’actualité internationale est marquée par la guerre en Ukraine, les tensions au Moyen-Orient, les alertes sur la sécurité numérique et le terrorisme et l’insécurité, certains observateurs jugent la campagne anxiogène.
« Il est crucial d’éviter l’effet ‘alerte rouge’. Ce manuel ou kit de survie ne doit pas être perçu comme le signe d’un péril imminent. Sinon, le message risque de se retourner contre l’émetteur », alerte Laurent Vibert.
Dans la presse, les titres s’enchaînent : « Un kit de survie comme en temps de guerre » (HuffPost), « Un guide de résilience ou un outil de panique ? » (France Bleu). Les oppositions politiques dénoncent une stratégie de la peur, tandis que les défenseurs du projet soulignent son caractère préventif. L’enjeu est donc autant perceptif que pratique.
Un format universel ou dépassé ?
Autre critique récurrente : le support papier. Est-il encore adapté à nos usages ?
« C’est un point faible évident. Une version numérique interactive aurait été plus engageante pour les jeunes générations. Le papier seul ne suffit pas. »
D’autant plus que, selon les premières estimations, le coût de cette opération pourrait s’élever à plusieurs millions d’euros. Le rapport coût/efficacité est donc scruté de près.
« Je ne suis pas contre l’effort financier si le projet est structuré. Mais cela exige un accompagnement rigoureux, sinon cela passera pour une mesure gadget déconnectée des besoins réels, surtout dans une actualité économique difficile pour les Français. », insiste l’expert laurent Vibert.
Une campagne de communication encore floue
Pour éviter que ce manuel de survie ou ce kit de survie institutionnel ne finisse oublié dans un tiroir, une stratégie de communication institutionnelle solide est indispensable. Selon Nitidis, cela passe par trois piliers :
- Une narration pédagogique, éloignée du lexique militaire ou survivaliste ;
- Un discours multicanal, relayé à la fois dans les médias classiques, les réseaux sociaux, les collectivités locales ;
- Un portage politique assumé, avec des porte-parole formés et visibles.
« On ne distribue pas un manuel de survie comme on diffuse un dépliant sur le tri des déchets. C’est un acte politique fort. Il faut assumer la démarche dans sa globalité », rappelle Laurent Vibert.
Comparaisons internationales : le précédent suédois
En 2018, la Suède a distribué un guide intitulé « If Crisis or War Comes ». Son contenu, très concret, a été bien accueilli, car il était accompagné d’une campagne de sensibilisation importante. Il incluait également un volet numérique accessible et relayé dans les écoles, les administrations et les médias nationaux.
« L’exemple suédois montre qu’avec une narration cohérente et une stratégie de communication maîtrisée, ce type de manuel ou kit de survie peut gagner en légitimité », commente Laurent Vibert.
Et maintenant ?
L’initiative française est encore en phase préparatoire. Le manuel est attendu pour l’été. D’ici là, le gouvernement a l’opportunité d’adapter sa stratégie de communication, de mobiliser ses relais d’opinion, d’impliquer les collectivités locales, les institutions scolaires et les associations, et de rassurer sur les intentions réelles de cette opération. Il est encore temps de corriger la perception, et d’inspirer confiance plutôt que méfiance.
« Ce n’est pas le manuel ou le kit qui provoque l’angoisse, c’est le silence autour de son objectif. Et ça, c’est un enjeu de communication qu’il est encore temps de corriger », conclut Laurent Vibert.
Pour conclure
Le manuel de survie – ou kit de survie – annoncé par l’État français pourrait devenir un outil précieux de sensibilisation… ou rester une opération mal comprise. Pour qu’il devienne un levier de résilience, il doit être intégré dans une démarche de long terme, pédagogique, transparente, et portée par une stratégie de communication alignée avec les enjeux actuels de la société. La réussite dépendra de la capacité de l’État à accompagner cette initiative par une parole claire, structurée et concertée, à l’opposé des improvisations ou des effets d’annonce.